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rafisa

Lutte sénégalaise "Laamb en wolof"

Dernière mise à jour : 27 juin 2020


Nous sommes le 26 juillet. Nous roulons vers Kédougou dans un mini bus quand tout à coup les voix se taisent. Les gens murmures et la sono hurle. Je demande à mon voisin ce qu'il se passe. Il me répond d'un air interloqué :

« Mais c'est le tournoi de lutte, la fin de la saison et aujourd'hui c'est le roi des arènes qui combat ! »

Oups ! mes plates excuses je ne suis pas très fan des sports de combat. Évidement, le commentateur hurle dans son micro, la musique à fond nous transperce les tympans. De temps en temps nos compagnons de voyage lèvent les bras au ciel et se lancent dans de grandes discussions. Si, si, ils discutent ils ne sont pas à deux doigts de s'entretuer. A l'arrivée à Kégougou tout le monde se précipite chez soit, nous dans un campement. Tous les hommes sont assis devant la télévision. Notre ami Paul fait de même. Je lui demande ce qu'il y a de si important.

« Le combat de lutte ! »

« Euh c'est pas fini ? »

« Non tout à l'heure c'était d'autres combats maintenant c'est le plus important ! »

Nous voilà donc assis devant le petit écran à regarder le combat de l'année.

Yékini/ Gris Bordeaux au stade Demba Diop de Dakar.

Ne connaissant rien à ce sport je pose quelques questions avant le début des hostilités. Les origines de la lutte sont lointaines. Ce sport était jadis pratiqué dans les campagnes pour célébrer la fin des récoltes chez les ethnies Sérères et Diolas, qui restent jusqu'à ce jour un vivier d'excellents lutteurs. Cette joute, à caractère folklorique, avait pour but de mesurer la force des hommes et de désigner le champion du village. Le don de la lutte se transmet de père en fils ou d'oncle à neveu. C'est un sport traditionnel mais aussi très empreint de mysticisme. La spécificité de la lutte avec « frappe », est qu'elle est exclusivement pratiquée au Sénégal. Elle permet de donner des coups de poing au visage et au corps comme à la boxe.

Les rites et les chants qui accompagne ces manifestations sont aussi importants que le combat en lui même. C'est la version Sénégalaise des Sumos Japonais, où le combat est très court mais la cérémonie interminable. Elle conjure le mauvais sort avant chaque combat. Au-delà de la préparation physique des « mbeurkatt » (lutteurs), un cortège de marabouts accompagne les athlètes dans l'arène. Des prières salvatrices, de même que les bains rituels censées donner la victoire à leur protégé qui arbore des gris-gris, sont débités avant chaque affrontement. Le mbeurkatt se livre au « Baccou » qui consiste à chanter ses prouesses en vue d'intimider l'adversaire et de séduire son public en dansant au rythme du tam-tam. Le « Ndawrabine » est effectué par les femmes griotes habillées en tenue traditionnelle, les femmes dansent avec leur foulard durant toute la durée de la lutte.

Toutes ses informations précieuses ont été recueillies à chaque coupure publicitaire. Il était impensable de parler pendant la 10 ème présentations des 2 lutteurs, ou pendant un chant...sacrilège ! Mais quel serait l'intérêt d'un combat de lutte sans son cérémonial et tout son attirail de rituels et de croyances ? Au Sénégal, le « xoon », héritage bien vivant de croyances animistes, n'est pas un folklore mais un véritable fait de société.


Le périmètre de l'arène est délimité par un cercle de sacs de sable. Chaque lutteur essaie de faire tomber son partenaire. Le premier qui met ses quatre appuis au sol, qui se couche sur le dos ou qui sort du cercle en tombant, est déclaré perdant par l'arbitre.

Le combat commence enfin. Le regard est dur, les muscles bandés, les gris-gris bien en place, la phase d'intimidation commence. Devant l'écran plus un bruit, dans la rue silence total, seule une brebis bêle devant la porte. Tout le monde retient son souffle.

Les lutteurs moulinent des bras comme des moulins à vent, leurs visages ensablés se touchent, une prise, rien. Le petit jeu du chat et de la souris reprend et puis tout d'un coup, je n'ai rien compris, rien vu IL a gagné. Nos amis hurlent, certains s'en vont fâchés, les discussions commencent....je n'ose même pas demander qui a gagné ? Ca doit être un truc d'homme...encore...comme le thé !

Au bout de deux minutes trente secondes, le chef de l'écurie Ndakaru Yakhya Diop a grillé Gris Bordeaux.

Le lutteur de Fass est tombé dans le piège du roi des arènes qui vient de signer sa 17e victoire. Après consultation des autres juges, l'arbitre attribue la victoire à Yékini en soulevant sont bras.

L'écurie Mbolo à Pikine est le temple formateur des plus grands lutteurs du Sénégal. Cette banlieue de Dakar a subit l'arrivée d'une forte population issue des campagnes. Ces personnes ont importé la pratique de la lutte à la ville et l'école de lutte de Mbolo, a était créée dans les années 70. Celle-ci a formé les plus illustres lutteurs, tels que Mor Fadam ou Manga II. Puis de 1995 à 2002 un certain Tyson a assis sa dominance en faisant mordre la poussière à tous les autres prétendants. Il a insufflé un nouveau courant dans la lutte sénégalaise avec l'écurie Bull Falé de Pikine, dont il est le chef de file.

Ce sportif est l'emblème de la jeune génération. Il écoute du rap, roule en 4X4, mais est aussi un religieux. Il incarne la jeunesse sénégalaise qui oscille entre modernité et tradition, ainsi que la réussite sportive et sociale.

D'un simple sport de villageois la lutte a acquis ses lettres de noblesse et donc une notoriété envers les promoteurs et sponsors. Les cachets des lutteurs s'envolent à plus de 50 millions de CFA.


Quelques jours plus tard à Popenguine. Des jeunes s'activent sur la place du village. Ils déchargent du sable, remplissent des sacs, tirent des bâches en sac de riz cousus....Raph s'approche curieux. L'association des jeunes (garçons) du village organise un tournoi de lutte amateurs. Tous les villages environnants vont participer. Le but est de montrer aux autorités locales que les jeunes sont capables d'organiser et de prendre en charge des projets d'envergure. Les fonds récoltés serviront entre autre au nettoyage de la plage. Avant le début des hostilités il est important de protéger les participants. Nous assistons à la cérémonie. La première étape est d'acheter du lait caillé qui sera offert au baobab sacré. Les musiciens sont présents et rythmes la cérémonie. Une « petite chose » secrète est sortie du tronc creux du vénérable arbre. Puis des offrandes sont déposées sur la pierre sacrée du village avant d'ensabler l'objet retiré du baobab au milieu de l'arène des lutteurs, pour éviter qu'il y est des blessés ou que le sang ne coule.

La musique est à fond, les baffles saturées grésillent. Le tournoi commence par les combats de légers. Cette musique typique de la lutte est un chant Sérère. Eux seuls possèdent ce droit. Cette même rengaine reviendra tous les jours à partir de 17h jusqu'au petit matin. Chaque combattant vient avec son équipe et surtout avec son marabout. Il enterre lui aussi un objet sacré dans le sable, dépose une offrande aux ancêtres (eau, bière...) pour porter chance au lutteur. Chaque homme est également protégé par des gris-gris en tout genre autour de la taille du cou. La danse peut alors commencer pour impressionner son adversaire, lui montrer sa force, et sa détermination.

Les deuxièmes et troisièmes journées les moyens puis enfin les lourds, vont s'affronter. Le dernier jour la finale aura lieu à 6h du matin. La foule sera encore présente à cette heure matinale. Le gagnant se voit gratifié d'une vache ( Zébu), le deuxième d'un mouton et enfin le dernier d'un sac de riz de 50 kgs. Tous ces lots ont été achetés par l'association des jeunes du village, chacun ayant donné un peu d'argent.




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