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Sénégal Keur Cupaam

Dernière mise à jour : 17 févr. 2020


Interview avec Woulimata Thiau, présidente du collectif des groupements de femmes pour la Protection de la nature de Popenguine sur la petite côte au Sénégal.



Depuis quand existe cette association et pourquoi ?

Elle existe depuis 1987. Le gouvernement a créé la réserve naturelle de Popenguine en 1986 en envoyant des agents des parcs nationaux qui n'habitaient pas le milieu. Nous empruntons la terre à nos enfants, ils vont en hériter. Si nous continuons à dégrader le milieu, nos enfants perdrons beaucoup de connaissances sur le milieu naturel, c'est donc aussi notre culture qui est dévastée. Nous faisons parti des gens qui ont détruit et nous avons décidé d'être de ceux qui reconstruisent. Nous avons donc récupéré notre terre en créant l'association Ker Cupaam. Nous avons décidé d'être des professeurs pour les générations futures, mais avant il fallait que nous soyons élèves. Nous avons appris à reboiser, les techniques de pépinière et de lutte contre l'érosion (barrages, digues...).

Au début on nous appelait les femmes singes dans le village, car il y avait plusieurs associations de développement (horticulture, élevage de poules...). Nous avons choisi de faire du reboisement pour contribuer au développement local mais de façon durable. Nous avons reboisé en premier des tamariniers. Ils sont connus pour loger le génie et les singes mangent les fruits de tamariniers, ce qui nous a valu le surnom des femmes singes.


Pourquoi avez-vous nommé votre association Ker Cupaam ?

Ker est le lieu la maison et Cupaam est le génie. C'est donc le lieu où loge le bon génie de la nature, il protège le cap de naze et le village. Il éclaire notre chemin. Nous l'avons choisi pour être notre nom mais aussi comme logo.

Comment s'est développé l'association ?

Au départ nous n'étions pas nombreuses et nous avons reboisé des tamariniers, des acacias pour leurs vertus thérapeutiques (anti-diarrhériques, contre les hémorroïdes,...) mais aussi pour leur capacité à retenir la terre et donc lutter contre l'érosion. Cette lutte contre l'érosion nous a valu l'aide de l'association de Nicolas hulot.

L'argent donné a été investi dans la création d'un restaurant. Les bénéfices générés ont permis la construction de cases traditionnelles bioclimatiques pour accueillir des touristes. Ceci apporte de l'argent régulièrement et nous auto-finance. Nous sommes entrain de construire 5 autres cases, pour un développement raisonné éco-touristique.

Avez-vous aussi travaillé à la protection des mangroves ?

Oui, après le début du reboisement nous nous sommes rendu compte que les femmes allaient chercher du bois de chauffe dans la mangrove, ce qui causait une destruction importante de la lagune, des végétaux et un appauvrissement des ressources halieutiques de ce milieu très spécifique. Nous avons donc repiqué 80 hectares de palétuviers en créant la réserve de la Somone, avec l'aide des écoliers. Maintenant nous l'avons laissé en gestion à la population locale. Pour nous c'était très difficile d'y aller (plus de 2h de marche). Nous avons demandé à l'État qu'il affecte des agents des parcs nationaux pour encadrer la population locale, les retombées financières allant aux locaux (retour des crevettes, des huîtres, des juvéniles pour relancer la pêche côtière locale...).

De plus les touristes visites la réserve pour sa richesse ornithologique, ce qui procure des emplois (piroguiers, petits restaurants, artisanat....). Nous avons diverses actions de reboisement plus de 8000 plantes d'espèces différentes) avec la gestion de épinières (les manguiers sont revendus), de la plantation d'arbres à pousse rapide pour en faire du bois de chauffe, de développement de l'agriculture (tomates, aubergines, certaines céréales...), nous créons aussi des digues, des barrages, des retenues d'eau, nous entretenons des coupes feu...Nous avons aussi des actions ponctuelles comme le nettoyage de la plage, la gestion des compostières... Nous récupérons le papier pour faire des bijoux, le plastique servant à la fabrication de nappe....


Qu'en pense les hommes ?

Au début c'était très dur parce que l'homme africain aime avoir sa femme toujours à côté de lui et nous avions du mal à nous déplacer. Nous avons donc décidé de les impliquer et nous les avons salarié de 1987 à 1991 pour qu'ils viennent nous aider et pour leur faire comprendre notre démarche. Maintenant ils nous soutiennent.

Est-ce que vous êtes reconnu aujourd'hui ?

Oui, le gouvernement Sénégalais nous soutient à travers la signature d'un protocole d'accord. Nous recevons des étudiants des universités de Dakar. Nous sommes au 7ème rang mondial pour la gestion de la diversité biologique. Toute reconnaissance est importante pour trouver des soutiens éducatifs, financiers, si nous voulons encore développer notre action...Le Fond pour l'environnement Mondial, le programme de gestion intégrée des ressources marines et côtières, le WWF, la communauté Européenne et d'autres nous soutiennent. Cette reconnaissance passe aussi par la convention que nous avons signé avec le lycée agricole de la baie de Somme. En effet 1 fois/an ils viennent ou nous allons chez eux pour partager des connaissances, et valoriser notre partenariat.

Est-ce que vous êtes un « outil » de développement durable ?

C'est le rôle de la femme que de montrer la voie de la durabilité. Nous avons une notion de la vie plus importante que les hommes et nous sommes souvent plus entreprenantes. Nos actions permettent de créer des emplois, de protéger l'environnement, de sensibiliser les enfants ainsi que les villageois. Il y a maintenant 1550 femmes majoritairement volontaires qui œuvrent dans divers villages de la région. C'est le cercle vertueux du développement. Nous gérons notre budget dans ce sens. 30 % pour les femmes qui travaillent au campement 10 % pour aider l'école 10 % pour aider le centre de santé 20 % pour l'électrification et l'assainissement de l'eau 30 % pour la caisse

La caisse servant au développement des cases éco-touristiques, à l'entretien des locaux, à l'investissement vers d'autres voies....


Quels sont vos projets aujourd'hui ?

Nous voulons développer notre savoir faire dans tout le Sénégal. Nous avons par exemple un projet dans la ville de St Louis pour essayer d'enrailler la montée des eaux due au réchauffement climatique. Nous voulons également dépasser les frontières. Au Bénin par exemple nous travaillons avec les femmes de Ganvié sur le lac Nokoué, pour les aider à gérer la pêche à l'akadja (On plante des branches dans l'eau. Leur décomposition attire les poissons qui viennent se nourrir et se reproduire dans la parcelle. Un système d'élevage naturel où les pêcheurs n'ont plus qu'à poser des filets de fond et des nasses pour attraper poissons et crustacés), le problème étant que la lagune se comble et que la coupe de branchage est de plus en plus important . En Guinée nous travaillons au reboisement des falaises pour éviter l'érosion côtière déjà bien avancée. D'autres projets sont en cours mais je préfère ne pas en parler tant que ce n'est pas fait.



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